Maissaï : “La volonté de rassembler les gens qui partagent la même passion”
Le label Sentaku a pour vision de promouvoir la diversité, la créativité et l’harmonie, par une exploration collective qui vise à repousser les limites de la musique électronique. Rencontre avec Massaï, membre fondateur du label.
C’est quoi l’histoire derrière Sentaku ?
J’habitais à Paris jusqu’à mes 16 ans, puis j’ai déménagé à Londres. Là-bas, j’ai rencontré Josh qui est mon associé sur Sentaku et un autre label, Shin’uchū. Je faisais déjà un peu de musique, mes parents sont mélomanes donc j’ai toujours baigné dedans. Josh mixait aussi, on est devenu super potes, on faisait tous les magasins de disques ensemble. Lui avait déjà un label, je suis rentré dedans. On a fondé Sentaku en 2017/2018. À l’époque on était résidents dans un bar, le Number 90, et Canal Stations est la première soirée qu’on y a organisée. Le concept était d’inviter des amis étudiants en école d’art pour leur permettre de présenter leurs projets, on s’est dit que c’était une bonne plateforme pour les encourager et leur donner de la visibilité. On trouvait que mélanger l’art visuel et la musique électronique était une super idée et ça a très bien marché, on a senti que c’était le moment de se lancer et de créer quelque chose propre à nous. Ça nous a pris à peu près un an pour vraiment mûrir ce projet. Il y a trois membres fondateurs : Josh, moi-même et Jane, notre graphiste qui a façonné toute l’identité visuelle du label.
Qu’est-ce qui vous a motivé à créer ce label ?
La volonté de rassembler des gens qui partagent la même passion, faire vivre notre communauté. On veut être un label qui promeut les talents qui nous entourent, faire vivre la musique de nos potes, leur donner confiance… Et à l’époque comme aujourd’hui, on a des potes qui font des tracks incroyables donc ça nous motive encore plus.
Quelle est l’essence de ce projet ?
L’esprit de collaboration, de partage. On a eu la chance de collaborer avec des gens un peu partout dans le monde. Essayer de mélanger les différentes formes d’art qu’on aime. Quand on sortait à Londres, on allait à des soirées très basiques : un DJ booth et un public. On s’est dit que ce serait bien d’avoir quelque chose d’un peu plus captivant. On essaie de toujours mélanger la musique et l’art visuel, que ce soit en soirée, sur les artworks du label, les vinyles… On fait un peu de tout, même de la cuisine. Josh est un grand passionné de cuisine. Il y a quelque temps, on a fait un pop-up où l’on présentait tout ce qu’on était capable de faire au sein de Sentaku. On a ainsi fait un atelier cuisine dédié aux “onigiri”, on a présenté une collection de t-shirts réalisée en collaboration avec la marque Maskarade, des œuvres d’art, notamment des peintures réalisées par Jane. Il y avait aussi une vente de vinyles, on voulait faire un focus sur tout ce qu’on fait à côté du label.
Est-ce compliqué de monter son propre label ?
Aujourd’hui, ce n’est pas si compliqué. Grâce à internet on a un peu tout à portée de main, c’est beaucoup moins fastidieux de monter une structure, tu peux tout faire en ligne. Certes c’était totalement inconnu pour nous tous ce côté logistique, administratif, mais quand tu entreprends tu es toujours amené à acquérir d’autres savoirs. Ce qui est compliqué c’est qu’aujourd’hui, il y a de plus en plus de labels donc c’est difficile d’avoir de la visibilité. On est quand même tous obligés d’avoir une activité à côté parce qu’un label ne génère pas beaucoup de revenus, à moins de s’occuper de tout le processus, ce qui demande énormément de temps.
Pourquoi avoir créé un second label ?
Le principe reste le même, ce qui change c’est qu’on a voulu faire quelque chose de beaucoup moins complexe dans l’image, beaucoup plus simple, plus intimiste. On ne voulait pas forcément que les gens sachent qui se trouvait derrière ce label. On l’a créé principalement pour la musique, on en a sorti une vraiment différente de ce qu’on faisait sur Sentaku. On n’avait pas envie de mélanger les deux, c’était important pour nous de faire la différence. J’ai rencontré Jimmy Batt & P.O (Solar Sound System) qui jouaient juste après moi dans un festival assez désastreux. Ils ont joué un live de deux heures, j’ai trouvé ça très impressionnant. Leur musique était propre au son UK Rave, ça m’a non seulement beaucoup inspiré mais ça m’a aussi rappelé Londres et sa culture rave. Sur ce label, on suit le programme spatial japonais. Chaque instrument envoyé dans l’espace par les japonais est le nom d’une sortie sur le label. Ōsumi par exemple est le premier satellite japonais envoyé dans l’espace, c’est aussi le nom de la première sortie du label, et ainsi de suite.
Avez-vous déjà collaboré avec d’autres artistes ?
On est en constante collaboration. J’estime que tous les gens qui sont autour de moi dans ce milieu ont quelque chose à apporter. Désormais, on essaie quand même de se centrer sur nos propres projets au sein du collectif, essayer d’offrir le plus de visibilité possible aux résidents du label.
Il y a un univers visuel assez fort derrière Sentaku, peux-tu nous en parler ?
On est de grands fans du Japon. Quand on a voulu créer le label, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose en rapport avec cette culture, on voulait s’en inspirer car on est très admiratifs de cet appétit pour le détail, cette élégance simple. On est remontés jusqu’à l’époque Edo, où il y avait de très beaux dessins qui représentent les figures importantes de la société japonaise comme la geisha, le samouraï, l’empereur, etc. On a repris ces codes et Jane a créé un panel d’icônes japonaises qui représenteraient chacun des disques qu’on sort. Jane a carte blanche sur tout ce qu’on fait en termes d’image, elle arrive toujours à produire des choses qui nous impressionnent. Les idées viennent de fil en aiguille, Jane produit énormément, on a cette source d’inspiration constante.
Comment décrirais-tu l’état de la scène électronique depuis la pandémie ?
Ça a été un coup de massue pour nous tous. Personnellement, j’avais pas mal de dates prévues et tout est tombé à l’eau. Mentalement, c’est un peu compliqué. Le bon côté des choses c’est que j’ai enfin pu accorder du temps à la production, jusque-là je n’avais jamais sorti de titre que j’avais fait moi-même. J’ai fait un son qui est sorti sur le label et maintenant j’ai un rythme de production. J’ai pu me concentrer sur d’autres projets, comme la photo par exemple. Je pense que ça été un peu le cas de tout le monde dans le milieu, on essaie tous de voir quels sont les projets qu’on peut sortir car on on peut toujours sortir de la musique malgré tout.
Beaucoup de choses se font à travers le support digital et c’est encore plus compliqué d’avoir de la visibilité et de suivre toutes les nouveautés. Là où l’on a vraiment été restreints c’est que forcément on ne peut plus aller en club, ni faire d’événements. Pour les labels, les événements sont la principale source de revenue donc c’était assez dur. Les politiques ne semblent pas très engagés sur cette question. Je pense que la musique électronique n’est pas vraiment prise au sérieux par les autorités, comme si c’était encore considéré comme une espèce de sous-culture, c’est dommage. Et puis je pense aussi à tous les gens autour qui vivent de ce secteur, comme les artistes, les gérants des boîtes, les agents… Beaucoup de clubs ont déjà fermé et c’est assez préoccupant.
Selon toi, la musique électronique est-elle indissociable des boîtes de nuit ?
C’est une question à double tranchant. J’ai envie de dire oui mais avec la pandémie, je pense que c’est justement le moment de réinventer la musique électronique au sein d’autres espaces que la boîte de nuit, et de l’amener à un autre niveau pour qu’elle soit enfin reconnue à part entière dans la culture. À l’époque, la plupart des grands DJs étaient associés à un club. Mais je trouve ça intéressant de voir la façon dont on peut sortir cette musique du club et la placer à un autre endroit. Il y a toute une dimension artistique qui serait très intéressante à explorer, notamment aujourd’hui avec l’art digital. Mais pour vivre pleinement l’expérience de la musique électronique, je pense que le contexte est important : il faut une boîte, un festival, un endroit avec des personnes qui partagent la même passion, où l’on danse tous ensemble… Ça renvoie à cet aspect de partage et de communauté dans la musique, et particulièrement dans la musique électronique, qui est très important.
Quels sont vos futurs projets ?
En ce moment, on est beaucoup sur le digital. On est en train de monter deux sites internet, pour les deux labels. On est en train de changer toute l’identité visuelle et de créer du contenu nous-mêmes. On a la volonté de créer un maximum de choses en utilisant les compétences de chaque membre du crew. On se dirige aussi vers l’art visuel, on a plein d’idées et on aimerait commencer à réaliser des clips. On veut également rester concentrés sur les artistes du label, les pousser à sortir plein de choses, notamment ceux qui font de la production. Ce n’est pas d’actualité pour l’instant mais on aimerait bien refaire des événements, du style pop-up avec une dimension artistique, éducative, informative forte, des projets qu’on pourrait présenter à des musées ou des galeries par exemple.
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Propos recueillis par Laurine Kati
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